Shabbat 13-14 Tevet 5782
Dernière parasha du livre de la Genèse qui s’achève donc avec la mort de Jacob et de Joseph. Jacob-Israël, cette personnalité fractionnée, a la préoccupation du retour à l’unité et de la réconciliation fraternelle et familiale :
-Avec son frère Esaü dont la haine l’a poursuivie pendant 20 ans jusqu’à la réconciliation finale inattendue.
-Puis, à la suite des deux rêves de Joseph, quand il envoie ce dernier s’enquérir du shalom, de la paix mais aussi de la complétude, entre ses frères[1]Genèse 37:14. Et comme ça n’a pas fonctionné :
-Il envoie ensuite les frères en Egypte, vers Joseph, même s’il ignore encore que son fils s’y trouve, après leur avoir demandé combien de temps ils allaient encore se regarder l’un l’autre[2]Genèse 42:2. Il est temps de sortir de soi pour aller à la rencontre de l’autre, ce frère devenu étranger et qu’ils ne vont pas reconnaître.
La réunification de la famille aura finalement bien lieu mais les choses vont se cristalliser et le symbole de cette cristallisation est pour moi l’embaumement de Jacob- Israël. Joseph fait embaumer son père qui est appelé ici Israël. Certes, c’est la coutume en Egypte de faire embaumer les personnages importants et d’autant plus ici que Jacob a demandé expressément à reposer dans le tombeau de Makhpela à Hebron et on imagine bien que pour supporter le voyage, le corps doive subir un certain traitement. Cependant le texte dit : « Joseph ordonna aux médecins d’embaumer son père et les médecins embaumèrent Israël ».[3]Genèse 50:2 Les médecins égyptiens embaument Israël et l’image est frappante : Israël momifié par l’Egypte, c’est comme si un peuple, ou plutôt un embryon de peuple, se figeait, comme si le temps se suspendait. Et en effet, à la suite de ces évènements il va y avoir un grand silence de 400 ans qui correspondent à la période d’esclavage en Egypte avant que Dieu ne se souvienne qu’il a un peuple et n’intervienne à nouveau.[4]Exode 2:24
La dernière fois que Dieu était intervenu, c’était à la fin de la parasha précédente. Après une absence pendant de longs chapitres. Il apparait à Jacob-Israël à Beer-Sheva[5]Genèse 46:2, le puits d’Abraham[6]Genèse 21:35, là où Il était également apparu à Isaac pour lui renouveler la promesse faite à son père[7]Genèse 26:23. Au chapitre 46 de la Genèse, on lit : « Dieu parla à Israël en l’appelant « Jacob, Jacob » » comme s’Il essayait de réconcilier 2 parties d’un Jacob tiraillé. Et Jacob lui répond : « Hineni », « Me voici ». D’après les Sages, à chaque fois que l’on rencontre « Hineni » dans la Bible, c’est le prélude d’une catastrophe à venir… Dieu lui dit de ne pas hésiter à descendre en Egypte car Il l’y accompagnera et fera de sa famille une grande nation, ce que Jacob répètera à son fils Joseph peu de temps avant de mourir. La promesse faite à Abraham, répétée à Isaac à Beer-Sheva, le puits du serment, est à nouveau renouvelée à Jacob au même endroit. Un peu comme un « ça va être dur mais va sans crainte, Je serai avec toi ».
Alors Jacob descend en Egypte avec les 70 membres de sa famille pour fuir la famine en Canaan. 70 est le chiffre de l’universel : c’est comme si tout Israël, tout le peuple voire toute l’humanité descendait avec lui en Mitsraïm, le pays de la « double étroitesse », le pays de l’enfermement, physique et mental, le pays de la terre noire et nourricière mais aussi de l’esclavage.
Abraham avait quitté son pays pour la terre Promise en répondant à l’appel de Dieu (Lekh Lekha)[8]Genèse 12:1, ici, ils quittent la Terre Promise pour aller en Egypte qui, d’accueillante, se transformera en piège qui se refermera sur eux, suivant les exigences du ventre, siège des instincts, tiraillé par la faim, et en répondant à l’appel d’un homme, Joseph. Et Israël va être momifié et le temps va se suspendre pour permettre la germination de quelque chose. C’est le temps de la maturation pendant lequel Israël va grandir et se multiplier.
Il y a, à nouveau, une verticalité marquée, comme avec Joseph jeté dans le puits, devenu esclave avant d’être élevé au rang de gouverneur d’Egypte, et qui a pour moi une valeur initiatique : parfois, il faut descendre au fond du désespoir, toucher le fond, pour pouvoir remonter. Parfois aussi, il faut savoir descendre en soi, dans un mouvement d’introspection, de repli sur soi, faire une pause, suspendre le temps un moment, pour comprendre la nature des choses, et sa propre nature, et mieux refaire surface, s’ouvrir aux autres en un être renouvelé.
Ici, c’est comme si cette descente était le prélude nécessaire à l’histoire qui va suivre et atteindre son paroxysme avec l’esclavage en Egypte (là, on sera descendu au point le plus bas) et permettre le triomphe de Dieu et du peuple hébreu libéré sous le conduite de Moïse et surtout le don de la Torah donnée sur le mont Sinaï (révélation et élévation).
A la faveur de cette enfermement dans la terre noire d’Egypte, de cette descente en soi, de cette maturation, Israël prendra conscience de son identité. Les patriarches laisseront la place aux prophètes, dont l’histoire du plus grand d’entre eux, Moïse, suivra celle de l’installation en Égypte. D’une promesse faite aux générations, la Terre Promise deviendra une vocation, faisant une place plus grande à l’action d’un peuple et à l’écriture de sa propre histoire.
Et nous? N’avons-nous jamais connu d’Egypte, de ces moments d’enfermement, parfois douloureux, qui nous ont obligé à réfléchir sur nous-mêmes et à aller à la rencontre de notre identité profonde? Quelle vocation en avons-nous tirée? Après cette année et demi si particulière que nous venons de vivre, faite de confinements et de restrictions, de retraits du monde, peut-être pourrions-nous suivre le conseil des Pirkey Avot et essayer d’être présent au monde, à la vie et à nous-mêmes en vivant l’instant pleinement, pour retrouver du sens et comme disait Rabbi Yehoshua ben Lévi à propos des tables de la Loi : « Ne lis pas « ‘Harout », « gravées » mais « ‘Herout », « liberté » ».
Shabbat Shalom[9]Il y a d’ailleurs un écho très fort entre la fin de la Genèse et la fin du Deuténome qui conclut la Torah : on retrouve dans l’avant-dernier de ces 2 livres des bénédictions : aux … Lire la suite…
Stéphanie van Tittelboom Kehilat Gesher
Références
↑1 | Genèse 37:14 |
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↑2 | Genèse 42:2 |
↑3 | Genèse 50:2 |
↑4 | Exode 2:24 |
↑5 | Genèse 46:2 |
↑6 | Genèse 21:35 |
↑7 | Genèse 26:23 |
↑8 | Genèse 12:1 |
↑9 | Il y a d’ailleurs un écho très fort entre la fin de la Genèse et la fin du Deuténome qui conclut la Torah : on retrouve dans l’avant-dernier de ces 2 livres des bénédictions : aux bénédictions de Jacob à ses enfants et petits-enfants répondent celles de Moïse au peuple. |